EXTRAIT:
Mon cher époux, mon cher compagnon,
Pardonne-moi d’avoir aujourd’hui envie de te parler pour te raconter un peu ce qui nous est arrivé à l’époque. On a tant souffert, nous avons vécu tant de malheurs ensemble. Te souviens-tu du jour où les soldats sont venus te capturer pour te tuer là-bas dans les bois ? C’est le patron de la finca qui leur a donné l’ordre de venir nous tuer.
Je suis venue te chercher et nous t’avons ramené à la maison. Mais tu étais déjà en train d’agoniser, tu ne supportais plus la douleur. Tu es mort à cause de cette guerre. (...) Pourquoi les ladinos et les riches nous persécutent ? Pourquoi nous tuent-ils comme si nous étions des animaux ? Est-ce parce que nous sommes Mayas et pauvres ? Je ne comprends pas pourquoi. J’étais à tes côtés lorsque tu es mort. (...) À ce moment précis, j’ai commencé à ressentir les premières douleurs. Tu sais que j’étais enceinte, tu t’en souviens n’est-ce pas ? (...) mais tu sais ce qui arriva, comment ces hommes sont venus nous tuer, et c’est pour ça que notre enfant a souhaité naître plus tôt que prévu. J’ai souffert pendant trois jours des contractions. Et enfin, l’enfant que nous attendions dans la joie est né, mais il est né dans la douleur, la tristesse. Il est né dans l'obscurité. Il n’a vécu que quelques jours et je n’ai jamais su l’endroit où notre fils a été enterré. Je lui avais donné ton nom : Gabriel.
(...)
Te souviens-tu, avant de mourir, tu m’as dit, parce qu’ainsi ton coeur le pensait, que tu souhaitais que je puisse trouver un autre mari, et je remercie Dieu car mon deuxième époux est comme toi, il est bon, il me comprend et nous vivons en paix. Il fut d’accord quand je lui ai fait part de mon désir de t’exhumer pour pouvoir t’enterrer au village dans lequel je vis aujourd’hui. D’avance je te demande pardon car demain nous allons récupérer tes restes pour les remettre entre les mains de Jésus.
Je pense constamment à toi et je n’ai jamais cessé de rêver de toi.
MOI, JUANA, TA FEMME
Juana Paiz Tadeo, 40 ans.
Lettre du 20 avril 2005, traduite du maya-chuj, à son époux, Gabriel Carmelo (22 ans). Assassiné par les forces armées le 17 février 1980, il a été exhumé le 21 avril 2005.
Tiré du livre "La vérité sous la terre" Éditions Parenthèses.