LETTRES AUX ABSENTS... (La vérité sous la terre)
EXTRAIT:
Mon frère,
après tant d’années, je vais enfin pouvoir voir tes restes. C’est tellement cruel ce qu’ils t’ont fait subir mais tu as supporté toute cette douleur et nous, nous sommes restés tristes pendant toutes ces années. Tu vois, je continue à vivre au même endroit où toi-même tu vivais. La vie est difficile, le travail est dur, mais finalement je suis heureux car aujourd’hui j’ai une épouse et des enfants.
Papa, je vous salue également. Je suis soulagé car je vais également pouvoir récupérer vos restes même si, après tant d’années, on risque de ne pas récupérer grand-chose. Ils vous ont fait tant souffrir et vous êtes mort dans la douleur. Pourquoi vous ont-ils fait cela ? Est-ce par jalousie ? Tout ce que je sais c’est que vous travailliez durement pour pouvoir nourrir notre famille. Cela fait déjà vingt-trois ans qu’ils vous ont fait cela et depuis nous sommes restés silencieux, seuls, enfermés dans notre douleur. Ne croyez pas que je ne voulais pas vous offrir une sépulture mais c’était dangereux et compliqué. Mais aujourd’hui, il y a des lois qui nous le permettent et je vais pouvoir vous recevoir à nouveau parmi nous, alors je sais que ce jour-là mon coeur sera content. Vous savez qui sont ceux qui vous ont fait subir cet outrage : c’étaient nos frères les patrouilleurs. Mais ils ne pourront plus vous faire de mal, ils ne pourront plus vous tromper car ils ne pourront pas vous tuer une deuxième fois. Je veux que ces hommes, les auteurs de ces crimes, paient leur faute et qu’ils se rendent compte de ce qu’ils ont fait. Papa, je ne veux pas que l’histoire se répète. Je ne veux pas qu’ils finissent par tous nous tuer, ni aujourd’hui, ni demain, ni jamais, en nous jetant au bord d’un chemin pour que les chiens nous dévorent, comme ils l’ont fait avec vous. Toute cette peine a été si lourde à porter et je ne veux plus jamais revivre cela. Père, je voudrais vous remercier car vous n’êtes jamais venu me tourmenter, ni le jour, ni la nuit et c’est pourquoi, peu à peu, la tristesse s’atténue car j’ai pleuré bien trop longtemps.
Encore merci, père, pour m’avoir laissé cette petite parcelle de terre sur laquelle je vis avec ma famille et mes frères. Merci beaucoup.
JOSÉ
José Mucú Ical, 37 ans.
Lettre du 29 avril 2005, traduite du maya-q’eqchi’, à son père, Jacinto Mucú (58 ans), et à son frère, Emilio Ical (27 ans). Enlevés et assassinés par les Pac le 9 mai 1982, ils ont été exhumés le 23 juin 2005.
Tiré du livre "La vérité sous la terre" Éditions Parenthèses.