LETTRES AUX ABSENTS... (La vérité sous la terre)
EXTRAIT:
Maman,
(...)
Maman, excuse-moi, j’ai oublié de te raconter ma vie aujourd’hui. Je voudrais te dire que je fais maintenant partie des autorités traditionnelles. Je suis le maire auxiliaire et je suis au service à la communauté. Je veux te dire aussi que j’ai maintenant une femme, nous nous multiplions… c’est bien le seul droit que nous ayons. J’ai des enfants et j’ai aussi des petits-enfants. Aujourd’hui mes racines sont profondes et mes pousses nombreuses. (...)
Maintenant je veux te présenter ma seconde épouse. « Cata, viens là, je vais te présenter à ma maman pour qu’elle fasse ta connaissance ». Notre fils n’est pas là en ce moment parce qu’il est en train de creuser la fosse pour chercher où tu es. C’est important que les jeunes voient de leurs propres yeux ce qui est arrivé, pour qu’ils comprennent notre situation sur cette terre et constatent par eux-mêmes la manière qu’on a toujours eue de nous considérer.
Je te remercie beaucoup pour cette parcelle de terre que tu nous as laissée. C’est cette terre qui nous permet de vivre, qui nous donne à manger et sur laquelle j’ai construit notre petite maison. (...) Elle a vu naître nos enfants. Elle nous a toujours donné l’espoir d’une vie meilleure. Maman, comme je te l’ai déjà dit, je ne sais pas ce que nous réserve l’avenir. Peut-être qu’aujourd’hui tout va bien et puis demain peut-être pas, nous ne pouvons pas le savoir. C’est vrai que j’ai déjà pas mal avancé sur cette terre, mais il me reste encore un bout de chemin à faire. Nous devrons attendre encore un peu et, c’est certain, un jour nous allons nous retrouver.
Maman, je sais que tu me vois et que tu m’écoutes, alors je te demande de protéger la vie de ma famille. Et nous, nous continuerons à prendre soin de toi. C’est tout, merci beaucoup.
PEDRO PÉREZ RAYMUNDO
Pedro Pérez Raymundo, 41 ans ; avec sa femme Catarina Depaz Ramírez, 41 ans.
Lettre du 14 avril 2005, traduite du maya-ixil, à sa mère, Juana Raymundo (50 ans) ; à sa soeur,
Catarina Pérez Raymundo (14 ans) ; à son frère Jacinto Raymundo (35 ans) ; à sa belle-soeur, María Rivera (34 ans). Tous furent victimes du massacre perpétré par l’armée le 16 avril 1981, ainsi que 64 autres personnes. Ils ont été exhumés en avril 2005.
Tiré du livre "La vérité sous la terre" Éditions Parenthèses.