LETTRES AUX ABSENTS... (La vérité sous la terre)
EXTRAIT:
Maman,
Vous m’avez laissé seul, ici, mais j’ai fait les démarches nécessaires pour venir vous chercher. Vous savez que je vous ai déjà enterrée une première fois dans la montagne. Et bien, maintenant nous allons venir récupérer vos restes pour les ramener au cimetière du village. Comme ça je serai enfin content de savoir que vous reposez en paix. Vous serez enterrée avec mon fils, qui est mort, lui aussi. Nous ne vous oublierons jamais et nous vous apporterons toujours des bougies, nous ferons brûler un peu de copal-pom et de temps à autre nous allons faire une petite messe pour demander à Dieu qu’Il prenne bien soin de vous et de nous tous aussi.
Maman, s’il vous plaît, ne laissez pas votre coeur devenir triste. Si nous n’avons pas pu nous occuper de vous pendant tout ce temps c’est à cause des soldats qui nous ont tués. Vous souvenez-vous combien nous étions heureux et joyeux avant, lorsque nous habitions dans notre maison ? (...) Mais l’armée est arrivée et elle a brûlé nos maisons puis elle nous a tiré dessus avec ses armes à feu. Nous avons fui dans la montagne. On était comme des animaux, on errait d’un endroit à l’autre. Ils nous ont laissés sans rien, dans la misère la plus totale. On avait tout perdu. On était comme des orphelins. Nous avons beaucoup souffert et vous, maman, vous avez supporté trop longtemps la faim et la soif, vous êtes tombée malade et c’est pourquoi vous êtes morte. Depuis ce jour-là je ne vous vois plus, nous ne sommes plus ensemble et vous êtes restée là-haut, perdue dans la montagne. (...) Mais sous peu je vais aller vous enterrer au cimetière et vous ne serez plus toute seule dans la montagne. Nous pourrons vous rendre visite à tout moment. Je vous demande alors, encore une fois, de ne pas être triste et que votre coeur ne soit pas triste non plus.
Aujourd’hui nous sommes plus ou moins tranquilles. Nous ne sommes plus entre les mains des militaires. Ces militaires ne parlent plus pour nous, ils ne parlent plus en notre nom.
En ce moment, maman, c’est tout ce que je peux vous dire.
MOI, MARIANO
Mariano Caal Back, 63 ans.
Lettre du 28 avril 2005, traduite du maya-poq’omchi’, à sa mère, Jerónima Back (60 ans), décédée dans les CPR le 22 mars 1982. Elle n’a pas encore été exhumée.
Extrait du livre "La vérité sous la terre" Éditions Parenthèses.