La vérité sous la terre
"L’armée est arrivée le mercredi 25 août 1982. Les soldats cherchaient les hommes, pensant que la guérilla était là. Comme ils ne les ont pas trouvés, parce qu’ils étaient en train de travailler dans leur champ de maïs ou dans les fincas sur la Côte, ils ont massacré tous ceux qui étaient présents dans le village ce jour-là : 37 femmes et enfants. Quelle douleur j’ai eue… J’y ai perdu ma femme et mon enfant. Je n’avais plus de mère ni de soeurs. Seulement quatorze personnes ont survécu, toutes celles qui n’étaient pas au village. Nous avons commencé à acheter de l’alcool, par gallons entiers et nous nous sommes tous mis à picoler jour et nuit, aussi bien les hommes que les femmes. On était tout le temps saouls, personne ne supportait la douleur, nous passions toutes nos journées à pleurer. Après six mois de beuverie, j’ai pensé qu’il était temps de me chercher une nouvelle femme pour me faire mes tortillas, pour s’occuper de la maison. C’est comme ça que ma tristesse s’est un peu calmée. J’avais enfin quelqu’un à qui parler, une bonne raison pour aller travailler. Avant, je n’avais pas peur de l’armée parce qu’on nous avait appris que les soldats étaient là pour protéger le peuple. Mais c’est un mensonge parce que c’est quand même bien eux qui ont massacré les miens ? Aujourd’hui, lorsque je les vois, je m’éloigne pour ne pas me mettre en colère. Et s’ils cherchaient à me faire du mal encore une fois ?
Si le Gouvernement veut nous indemniser, c’est bien, mais cela ne nous fera pas taire ni oublier ceux qui sont responsables de notre tragédie, et le principal coupable est Ríos Montt. Nous devons exiger justice, mais tous ensemble, parce que moi tout seul je ne peux pas."
Diego Tol Calel, 43 ans. Maya-k’iche’.
Avec sa soeur Petronila dans la fosse où ont été retrouvés les restes de leur mère Marta Calel Calel, assassinée à l’âge de 45 ans.
(extrait du livre "La vérité sous la terre" éditions Parenthèses)