L'AUTRE GUERRE // LA OTRA GUERRA
Ils sont tatoués, parfois de motifs diaboliques. Ils sont emprisonnés. Ils sont violents et, à cette violence née d’une situation sociale qui prend ses racines dans l’extrême violence du génocide perpétré contre les mayas par les dictatures militaires, répond une autre violence, celle de l’armée, de la police et des mercenaires qui les tuent.
Ce sont les « maras », ces gangs dont la dénomination caricature des groupes dans lesquels s’organisent des jeunes, souvent des très jeunes, répondant à une situation inextricable par un mode d’organisation alternatif, en marge de toutes les légalités, liés au trafic de drogue et à la prostitution, au maniement des armes, à toutes les dérives. Ils se sont donnés des signes de reconnaissance, des identités qu’ils portent à même le corps et peignent sur les murs. Ils sont agressifs et violents et, en même temps, ils vivent, éprouvent des sentiments, sont amoureux. Ils sont victimes et, ne voyant aucune issue, ils font aussi des victimes. Et ils en deviennent désespérément émouvants, aussi émouvants qu’ils sont injustifiables, parce qu’ils vont droit dans le mur et que la vie même, les vies, les leurs comme celle de ceux qu’ils peuvent assassiner, n’ont plus de sens.
Parce qu’il se refuse à juger (de quel droit ?) mais parce qu’il voudrait tenter de comprendre ce qui se passe dans un pays pour lequel il éprouve plus que de la sympathie, de la tendresse, depuis qu’il l’a découvert, il y a une vingtaine d’années, Miquel Dewever-Plana accompagne les situations, discrètement, modestement. En simple observateur tentant de ne pas influer par sa présence sur l’attitude de ceux par qui il sait se faire oublier. Cela demande beaucoup de temps, de patience, d’attention.
De ces longs séjours, de cette alliance avec le temps, le photographe rapporte des images sans spectacle (ni celui, caricatural, des acteurs qui adorent se mettre en scène pour ressembler aux poses provoc qu’adorent tellement les media, ni celui de la surenchère voyeuriste sur la violence). Un jeune couple s’embrasse à travers les barreaux, extrême tendresse, le visage d’une jeune file rayonne de beauté, le corps d’un jeune homme laisse glisser avec sensualité les motifs de ses tatouages. Et aussi, sous les projecteurs de la police, les emplacements des impacts de balles rythment l’espace ou réinventent en écho à la peinture religieuse une mise au tombeau d’aujourd’hui. Tout cela se croise, se tisse, reconstruit un monde sous-tendu de violence quand on a le sentiment, désespérant, que toute cette jeunesse ne demanderait qu’à vivre. Pourquoi est-ce donc impossible ?
Christian Caujolle
La photographie est silencieuse: Les images de Miquel Dewever-Plana disent une violence et une détresse absolues, que traversent parfois l’éclair pas encore assombri, ou jeté dans le sang, de l’amour et de l’amitié. J’entends ces images : elles crient un pays, le Guatemala, où la mort s’invite chaque jour dans le fracas des règlements de compte. J’écoute ces photographies : elles claquent à nos yeux les résonnances des rafales et des massacres, une arrière-cour pour un cadavre, le bruit des menottes, les cris de désespoir que l’on devine.
Les photographies de Miquel Dewever-Plana ont le regard de la dignité, elles évitent l’horreur immédiate pour mieux écrire l’horreur absolue d’un pays à la dérive. Elles ne jugent pas. Elles sont belles et distantes, et si chaleureuses pourtant quand elles donnent à voir quelques instants de répit, dans cette autre guerre. Alors elles disent un possible : celui d’une jeunesse où la mort, la prison, la drogue, et la violence ne seraient pas les inévitables compagnes d’infortune. Une jeunesse qui n’aurait pas les gangs comme seul espoir de famille. Au Guatemala, la mort est au bout de la rue. Au bout de ce chemin photographique, le silence explose plus encore que nos indignations et notre impuissance.
Frédéric Ayangma / Directeur de Guyane 1ère