LETTRES AUX ABSENTS... (La vérité sous la terre)
EXTRAIT:
Cher papa, chère maman, chers frères et soeurs,
(...)
Moi, je garde en moi l’espoir de vous savoir vivants, même si certains me disent que vous êtes morts. Des personnes m’ont raconté qu’on vous a vu à la capitale… Moi je ne sais plus quoi penser. On me demande « Pourquoi tu continues de t’énerver contre la volonté de Dieu s’ils sont déjà morts ? Tu devrais plutôt leur apporter des fleurs. » Alors moi je leur réponds que j’aimerais beaucoup pouvoir le faire mais qu’il faudrait d’abord que je sache où vous êtes enterrés. Mais soyez sûrs que je continuerais à vous attendre. Peut-être avez-vous encore peur d’eux, et c’est pour ça que vous ne revenez pas ? Mais je me demande : « Si vous êtes encore vivants, pourquoi ne cherchez-vous pas à reprendre contact avec nous ? Avez-vous toujours peur que quelque chose nous arrive ? Pourquoi tant d’années sans rien dire ? » Papa, c’est parce que vous étiez catéchistes dans les villages que vous vous êtes rendu compte de la pauvreté et de la discrimination dont souffraient tant de gens et, peut-être, avez-vous eu raison de lutter avec la guérilla, avec ceux qui se battaient pour plus de justice. (...) Papa, je suis fière de ce que vous avez été et triste aussi parce que je vous ai perdu ; mais pas seulement vous, j’ai aussi perdu ma maman et mes frère et soeurs. C’est le prix que nous avons dû payer pour les choix que vous avez faits. (...) Ce n’est que maintenant que nous pouvons commencer à dire ce que nous ressentons mais nous avons encore peur parce que ceux qui ont fait tout ce mal sont toujours parmi nous et nous savons qui ils sont. Alors, de peur qu’on ne vienne nous chercher et que ça recommence, et bien, nous continuons à nous taire.
Papa, maman, mes soeurs, petit frère, je veux continuer à croire que vous êtes vivants et qu’un jour nous allons nous revoir. Je vous aime beaucoup.
Voilà.
SARA
Sara del Carmen Cabrera Ramírez, 40 ans. Ladina.
Lettre du 2 mai 2005, traduite de l’espagnol, à son père, Ángel Cabrera Mejía, le « Curé » (50 ans) ; à sa mère, María Augusta Ramírez Ramos (40 ans) ; à ses soeurs, Mirza Elizabeth et María Teresa (23 et 18 ans) et à son frère, Arnoldo de Jesús (10 ans). Ils sont tous portés disparus depuis 1976.
Tiré du livre "La vérité sous la terre" Éditions Parenthèses.