LETTRES AUX ABSENTS... (La vérité sous la terre)
EXTRAIT :
Maman,
Je suis en ce moment en train de revivre des moments de souffrance. Cela fait déjà vingt-quatre ans que les soldats et les patrouilleurs de Xococ nous ont emmenés en haut de la colline. Je me souviens de toute la famille, surtout toi maman. Et, une fois là-haut, ils nous ont tous massacrés. Mon coeur ne pourra jamais vous oublier. Avant, lorsqu’on était tous ensemble, nous étions contents comme des oiseaux, heureux.
Maman, je veux te dire que depuis qu’ils t’ont tuée, je n’ai cessé de penser à toi. Je t’aime tellement. Je t’aime autant que toi tu m’as aimée lorsque tu étais vivante. Je ne t’ai pas oubliée, je me souviens toujours de toi, je pleure en pensant à toi et je sais que toi non plus, tu ne m’as pas oubliée. Pourquoi ai-je survécu ? Pourquoi ai-je fui en te laissant avec ma toute petite fille ?
Je n’arrête pas de penser qu’il aurait mieux fallu que je meure avec toi, maman, comme ça je n’aurais pas eu à souffrir toutes les peines que j’endure maintenant… Je n’ai plus envie de vivre.
Maman, avec tout ce que j’ai vécu depuis le massacre, je me sens comme un arbre déraciné. On m’a tout arraché et on ne m’a laissé que les branches. Puis on m’a replantée ailleurs. Mais ce n’est plus pareil, parce que là où je suis je n’ai plus de racines, je n’ai que quelques branchages, à peine quelques bourgeons. Je n’arrive pas à penser à autre chose et j’ai souvent envie de mourir pour te retrouver, pour être à nouveau avec toi maman et pour retrouver ma fille. Mais je suis là, toujours vivante et le mal est parmi nous, il est en nous, les survivants.
Je suis certaine qu’un jour, le jour où je mourrai, nous nous retrouverons.
Maintenant je veux te remercier pour tout ce que tu as fait pour moi. Je voudrais aussi remercier mes tantes. Je sais que vous me regardez, comme je vous regarde aussi.
C’est tout ce que je peux te dire.
BRUNA
Bruna Osorio, 38 ans.
Lettre du 27 avril 2005, traduite du maya-achi, à sa mère Eusebia Osorio Cahuec (45 ans) et à sa famille, massacrées à Río Negro. 107 enfants et 70 femmes ont été victimes d’un peloton de militaires et des Pac de Xococ, le 13 mars 1982. Ils ont été exhumés en octobre 1993.
Tiré du livre "La vérité sous la terre" Éditions Parenthèses.