La vérité sous la terre
"Mon papa, Gaspar Vi, est mort brûlé vif, avec d’autres paysans dans l’ambassade d’Espagne, le jeudi 31 janvier 1980. Ils voulaient demander plus de justice et dénoncer la répression dont le peuple souffrait. Mais la seule réponse faite par le gouvernement du général Romeo Lucas García a été la mort. Lorsque nous avons entendu la nouvelle à la radio toute la famille s’est mise à pleurer. Ensuite, nous avons commencé à être de plus en plus menacés et nous nous sommes vus obligés de nous réfugier dans la montagne. Puis, avec tous ceux qui ont fui, nous nous sommes organisés en CPR. On voyait passer de temps en temps des guérilleros et, à l’âge de dix-sept ans, j’ai pris la décision de les suivre afin de lutter pour le peuple. Si on n’avait pas tué mon père, je ne me serais peut-être jamais enrôlé dans la guérilla. C’est ainsi que j’ai fait partie de cette lutte jusqu’à sa démobilisation en 1997. Mon grand frère a également participé à la guérilla pendant un certain temps. Mais jusqu’à ce jour je ne comprends pas pourquoi, en sortant de la montagne, il s’est rendu aux militaires. Certains disent qu’ensuite il a intégré le G2. Cela me fait toujours mal d’y penser car nous avons le même sang et pourtant le confl it armé a définitivement divisé la famille. En 1983, on m’a annoncé la mort de ma maman, María Escobar. Nous n’avons pu l’exhumer qu’en août 2003 et maintenant elle est ici dans le laboratoire des anthropologues légistes. Je n’ai finalement pu voir que ses restes et je n’ai jamais pu la revoir comme je le lui avais promis lorsque je suis parti pour lutter avec les compas. Voici le voile avec lequel ses compagnons de la CPR l’ont enterrée dans la montagne. Il y a des gens qui disent que ce que nous avons fait était bien, il y en a d’autres qui disent le contraire. Ce qui est certain c’est que nous ne vivrons pas suffisamment longtemps pour voir les fruits de cette lutte. Ce seront nos enfants ou nos petits-enfants qui les verront."
Baltasar Segundo Vi Escobar, 42 ans, Maya-ixil, en compagnie de sa mère María Escobar. Cette dernière a été inhumée légalement le 9 septembre 2004 au cimetière de Chajul (El Quiché).
Laboratoire du Cafca (Centre d'Analyse médico-légale).
(extrait du livre "La vérité sous la terre" éditions Parenthèses)