La vérité sous la terre
Sur la photo:
Pedro Gallego de León, assassiné le 14 mars 1989. Il avait 38 ans. Exhumé en 1994.
"Regarde, ça c’est la photo de mon papa, elle est très abîmée mais c’est la seule que nous avons de lui. J’avais quatorze ans et j’étais avec lui lorsque, le 14 mars 1989, vers 11 heures du matin, environ 100 soldats sont arrivés. Nous nous sommes cachés au bord d’une rivière mais mon père a voulu s’approcher pour regarder comment ils brûlaient notre maison et notre champ de maïs. Lorsqu’ils l’ont vu, ils lui ont tiré une balle dans la poitrine mais il n’est pas mort. Ils ont commencé à me poursuivre aussi et une balle m’a traversé l’oreille. Je me suis caché sous un arbre et ils n’ont pas pu me retrouver. La chance m’a sauvé et c’est comme ça que je peux raconter aujourd’hui ce que mes yeux ont vu. Lorsqu’ils se sont fatigués de me chercher, ils sont retournés voir mon père. Il était blessé, il était allongé près d’un arbre. Ils ont parlé pendant environ dix minutes et puis tout d’un coup j’ai vu un soldat poser le canon de son arme sur le front de mon papa et lui tirer une balle. Je me souviens qu’il y avait des morceaux de cervelle partout. Les soldats l’ont traîné et ils l’ont jeté dans la forêt. Le lendemain nous l’avons enterré là où nous l’avons trouvé. Nous avons dû attendre jusqu’en 1994 pour que mon grand-père, don Pablo Gallego, et la communauté l’exhument et l’amènent au cimetière de Pa’al. Le jour où ils ont tué mon père, les soldats ont capturé ma maman, mon petit frère Pablo et ma petite soeur Juana. C’est pourquoi je suis resté seul, orphelin, et j’ai grandi avec mon grand-père à Pa’al. J’ai cru très longtemps qu’ils les avaient tués. Et eux aussi pensaient que j’étais mort. Mais quand la paix a été signée, nous avons pu retourner ici, à Pulay. C’est là que j’ai pu revoir, huit ans après, ma mère, mon frère et ma soeur. Ils m’ont raconté que les soldats les avaient emmenés dans un endroit appelé Xemamatze, une sorte de camp où ils entassaient tous les gens qu’ils capturaient pour les rééduquer. Mais jamais je ne pourrai effacer de ma mémoire la mort de mon papa."
Pedro Gallego Matón, 28 ans. Maya-ixil.
(extrait du livre "La vérité sous la terre" éditions Parenthèses)