La vérité sous la terre
Sur la photo:
José Tamup (à gauche), séquestré le 14 janvier 1982 puis assassiné. Il avait 22 ans. Exhumé en octobre 2003.
Catarino Tamup (à droite), séquestré le 20 octobre 1983. Il avait 34 ans. Il est toujours porté disparu.
"Merci de m’écouter car parfois on sent le besoin de se soulager après avoir vécu tant d’années dans le silence. C’est toujours une souffrance de se souvenir, mais le moment est venu de raconter notre histoire.
C’était le 14 janvier 1982, dans la maison de mon grand-père, don Felipe. Plusieurs militaires sont arrivés en plein jour et, devant tout le village, ils ont séquestré mon grand-père Felipe Tamup Ragüex, ses deux fils, José et Lucho, sa fille, Elena et sa belle-fille, Marta Pelico Coxic, épouse de José, en laissant dans les bras de ma grand-mère leur petit bébé de 4 mois. Ils les ont amenés à l’église qui était à l’époque occupée par les militaires, et là ils les ont torturés en les accusant de faire partie de la guérilla. Ils ont seulement laissé mon grand-père sortir vivant mais nous n’avons jamais revu ni mes oncles ni mes tantes. En octobre 2003, un processus d’exhumation a commencé dans l’église et là nous avons trouvé, dans une première fosse, les vêtements de mes deux tantes et dans la seconde fosse on a trouvé les ossements de mes deux oncles et de mes deux tantes. Mon grand-père a tout de suite reconnu ses enfants grâce à leurs vêtements. Il n’a pas supporté la tristesse et il s’est mis à beaucoup pleurer. Il me disait que ce qui était le plus dur était de voir ses enfants jetés, comme si ce n’était pas des personnes, et d’imaginer la souffrance de mes tantes, qui ont probablement été violées puisqu’elles ne portaient plus leurs vêtements. Ce fut très douloureux pour mon grand-père, mais depuis je lui vois un regard et un sourire que je ne lui avais jamais remarqué auparavant. Il est comme en paix avec lui-même. Il a 82 ans et je crois que l’idée de mourir sans retrouver ses enfants lui était insupportable. Il lui reste cependant encore à retrouver son autre fils, Catarino Tamup, qui est mon père et qui fut séquestré à Ciudad Guatemala le 20 octobre 1983. Nous n’avons pas d’information fiable quant au lieu où il est enterré. Cependant, nous continuerons à le chercher parce que nous ne pourrons commencer à guérir qu’à partir du jour où nous le retrouverons."
Calín Tamup Canil, 29 ans. Maya-k’iche’.
(extrait du livre "La vérité sous la terre" éditions Parenthèses)